L'enfant qui dit non, l'enfant qui s'affirme

Isabelle Lelouvier, Psychologue à Bordeaux vous explique la psychologie de l'enfant

Le regard sur l'enfant a changé au cours de ces dernières décennies. Nous comprenons mieux les étapes de développement, nous avons plus de pistes de décodage de ses comportements grâce aux observations faites très tôt sur le très jeune enfant sanscompter avec l'apport des neurosciences appliquées à l’enfant. Avec Spitz dans les années 50, nous avions déjà cette notion d'étape et d'opposition autour de 18 mois, signe d'un processus d'affirmation de soi qui se mettait en place.

Si l'on sait que l'enfant est un être vulnérable et donc extrêmement dépendant dès la naissance et ce pour de nombreuses années, on ne peut plus ignorer la notion d'immaturité de son cerveau et l'influence de la qualité de son environnement sur son évolution.

De nombreux adultes interprètent les comportements d’opposition du tout petit, pensent que l'enfant les provoque, les cherche, les nargue, leur manque de respect quand il dit « non ! » et qualifient cette attitude « d'insolente ».Or, il n’en n’est rien.
L’enfant grandit et le fait savoir à l’adulte, sans le savoir d’ailleurs ; en mettant du motentre lui et l’autre. Il s’agit d’un processus spontané qui s’impose à l’enfant et qui a du sens dans la construction de la relation à l’adulte.

Il y a plusieurs sens au non !
Tout d’abord, très tôt, le Non comme refus de ce qu'on propose au bébé, au cours du repas par exemple. Le bébé peut dire non avec la tête dans un mouvement d'évitement latéral, qui prépare déjà le Non affirmé verbalement plus tard. L’enfant fait ainsi comprendre à l’adulte son choix, en matière de goût par exemple. Avant le langage, il y a l’expression par le corps.
Plus tard, il y aura le Non verbalisé de désaccord, affirmé et conscient, parce que l’on ne peut pas toujours être d’accord.et que le langage nous permet de nous exprimer plus clairement que le corps.
Autour de 18 mois, l’enfant se positionne de plus en plus face à l’autre et va utiliser le langage au sien de la relation. On constate aussi que l’enfant dit Non avant de dire Oui ! Alors, on peut comprendre que ce Non-là a de l’importance pour lui.

Le Non ! d'affirmation de soi signifie à l'adulte que l'enfant aussi a une identité, des idées sur les choses Il donne un message de différenciation à l'adulte qui, depuis sa naissance ne cesse de penser et de faire à sa place, fort heureusement d’ailleurs.
Autour de 2ans, le processus de séparation progresse.

L'enfant réalise qu’il peut lui aussi faire des choix et interpelle l'adulte par ce petit mot « non !» :
« non ! » = « toi et moi, on est différent »,
« non ! »= c'est moi qui décide parfois,
« non ! »= je peux aussi faire seul,
« non ! »= je n'ai pas toujours besoin de toi pour penser,
« non ! »= parce que je peux aussi faire des choses que j'ai décidées moi »,
autrement dit, l'enfant signifie à l'adulte que malgré son très jeune âge, il est en train de gagner tout doucement en autonomie et de progresser en indépendance, neparticulier sur le plan psychique.

Pourquoi « Non » ? pourquoi ce mot-là à cet âge-là?
L'enfant apprend en imitant, c'est un grand observateur et l'adulte, utilisant très souvent de mot pour interpeller l'enfant, il y a fort à parier qu'il réalise que ce mot a un pouvoir ausein de la relation. Vous n'entendez pas un enfant dire Non ! tout seul, sauf dans le jeu d’imitation quand il reproduit des attitudes d’adulte qu’il a observées. Il peut le dire à son doudou ou à une poupée, en imitation d'une situation relationnelle inventée ou déjà vécue.

L'éducation nous est transmise par nos parents et laissent des traces indélébiles dans nos esprits, sous forme de croyances et de comportements. Il est important de pouvoir toujours les remettre en question et faire le tri de façon lucide et autonome quand on devient soi-même adulte et parent. C'est grâce à cette évolution que les enfants profitent d'une meilleure éducation, plus juste et plus réfléchie.

A bien y regarder, souvent l’enfant qui dit Non peut en réalité faire tout de même ce qu’on lui demande, comme si le sur le fait de le dire pouvait suffire. Parfois, l’enfant s’oppose fermement, résiste à la demande de l’adulte et s’arque boute sur ce Non de toute-puissance découverte. Dans ces moments-là, il s’agit d’abord de calmer l’état de l’enfant, de l’amener à une solution de stabilité retrouvée tout en acceptant la réalité proposée par l’adulte, en le distrayant ou en proposant une solution de compromis.

Le Non !, énoncé de façon systématique autour de 2 ans par l’enfant, est une étape par laquelle il signifie à l’adulte qu’il grandit. Il ne s’agit pas de désobéissance ni de manque de respect.
L’enfant a besoin d’être entendu, accompagné et accepté dans son processus d’autonomisation.et d’opposition. Il ne manquera pas de l’exprimer au cours de toutes les années à venir et en particulier à l’adolescence, reviviscence des processus primaires de l’enfance.

La plupart des enfants passent par cette étape spécifique de l’évolution de l’enfant et on constate que petit à petit, ils y renoncent en grandissant, quand ils ont la possibilité de se positionner autrement, en particulier par le langage, dans une reconnaissance par l’adulte de sa place de sujet séparé et indépendant.

A la crèche aussi, les professionnelles ont à se confronter à ces manifestations d’opposition des enfants, en particulier chez les Petits (15mois/2ans).
Toute opposition est autorisée et accueillie et contenue et donne lieu à un échange avec l’enfant pour aboutir à une solution.
Comme toujours, ces manifestations sont moins fréquentes, dans ce contexte de neutralité affective qu’offre la collectivité, contrairement au milieu familial chargé affectivement, où l’enjeu de la différenciation au sein de la relation aux parents est si important pour l’enfant.


Isabelle Lelouvier,
psychologue


Biblio Daniel Marcelli et Pascale Leroy, « c'est en disant non qu’on s'affirme »....
ed. Hachettes,2007

Voir aussi : Comment l’enfant apprend-il à se socialiser, à « vivre ensemble » ?